Interview avec Madame Delphine Verton
Neuropsychologue au Rehazenter Luxembourg avec spécialisation en réhabilitation cognitive
Madame Verton, dû aux circonstances présentes, il n’est malheureusement pas possible d’organiser notre Soirée d’Information sur la Psychologie dans le format des années précédentes. Nous aurions aimé avoir l’occasion d’en apprendre davantage sur votre cursus et le quotidien de votre travail, et surtout d’entrer en échange avec vous en personne. Pour malgré tout donner à nos auditeurs un bref aperçue de votre curriculum, nous voulons vous poser quelques questions par voie écrite. Nous vous remercions d’avance pour votre participation et votre investissement de temps !
Concernant vos études…
Qu’est-qui a déclenché l’idée de poursuivre des études en psychologie ?
J’ai décidé d’étudier la psychologie parce que je voulais devenir neuropsychologue. Durant mes études secondaires, j’étais définitivement attirée par les domaines de la santé, des sciences et de la relation humaine. Dans un premier temps, mes réflexions étaient tournées vers la médecine mais le nombre d’années d’étude ne correspondaient pas à mon souhait de devenir autonome et indépendante (je voulais finir mes études et aller travailler rapidement !).
Après recherches, il s’avérait que la neuropsychologie remplissait tous les critères que je m’étais fixés. Je me suis alors inscrite en psychologie à Louvain-la-Neuve (Belgique).
Les études en psychologie, correspondaient-elles à vos attentes ?
Je répondrais oui et non.
D’une part parce que je crois que, à un certain moment donné de notre vie, on est plus ou moins prêt à recevoir et « digérer » de la matière (en fonction de notre expérience personnelle, nos valeurs et notre éducation, etc.). Lorsque j’ai fait mes études, j’étais prête à recevoir les enseignements plus scientifiques (neurosciences, biologie, neuropsychologie par ex.), j’étais ouverte et à l’écoute d’autres matières (psychologie générale, systémique et cognitivo-comportementale, statistiques) et moins disponible pour ce qui me paraissait plus abstrait (psychanalyse, psychiatrie, par ex.).
D’autre part, au-delà de notre disponibilité pour certains cours, l’accès à l’enseignement dépend également du professeur qui présente la matière. Ainsi, même si la matière enseignée n’était pas d’emblée ma favorite, le professeur pouvait néanmoins m’accrocher s’il rendait la matière captivante et en lien avec des expériences concrètes de la vraie vie. Et l’inverse est également vrai.
Donc, pour résumer, certains cours répondaient à mes attentes et d’autres non.
Un ami plus âgé m’avait partagé un enseignement que lui-même avait fait dans le courant de ses études : selon lui, les études n’apprenaient rien d’autre qu’un esprit critique et une capacité réflexive ; le reste se trouvait dans les livres. Je dois dire qu’avec du recul, je pense qu’il a raison. De ce fait, les études universitaires m’ont permis d’avoir un esprit plus éclairé et m’ont équipée pour recevoir d’autres enseignements avec un regard critique.
Vous avez fait vos études à Louvain. Pourquoi cette ville-là ?
La réponse pourrait se résumer de la manière suivante : parce que ma grande sœur y était et que la vie étudiante était folklorique !
Plus sérieusement, belge d’origine, peu aventurière et en provenance d’un petit village de 300 habitants, je n’imaginais pas partir dans un autre pays, ni même m’immerger dans une grande ville.
Louvain-la-Neuve était donc un bon compromis : une ville-campus avec une université de bonne renommée – même si j’avoue ne pas avoir fait une analyse détaillée de toutes les universités belges.
Quel aspect de vos études vous plaisait particulièrement ?
Le domaine des neurosciences était et reste pour moi un domaine captivant et toujours en renouvellement.
À quel point vos études posaient-elles un défi ?
Au-delà du domaine de la psychologie, le challenge pour moi était de devenir autonome (excepté l’aspect financier) et de réussir mes études : faire soi-même ses courses, se faire à manger, apprendre à évoluer dans une ville qu’on ne connaît pas, aller à la rencontre de nouvelles personnes, étudier, passer ses examens, trouver le bon compromis entre détente et études, etc.
À quel moment avez-vous su, que vous travailleriez comme neuropsychologue ?
Durant mes années de secondaires, j’étais indécise par rapport au chemin professionnel que je voulais emprunter. Ce n’est qu’en dernière année, après consultation d’un centre d’orientation, que je me suis décidée à aller dans une faculté de psychologie pour devenir neuropsychologue. Heureusement pour moi, mes stages ont confirmé que je ne m’étais pas trompée.
Est-ce que vous avez poursuivi des formations supplémentaires après l’obtention de votre diplôme de Master ? Est-ce que vous les considérez comme importantes ou même nécessaires pour une future profession ?
Je n’ai pas fait d’études complémentaires dans la foulée de ma licence en psychologie. Mais j’ai repris de nombreuses formations en parallèle de ma carrière professionnelle.
Au vu de l’évolution des législations actuelles par rapport à la protection du titre de psychothérapeute, si j’étais encore étudiante en psychologie aujourd’hui, j’envisagerais peut-être de faire un complément de formation axé sur les psychothérapies.
Concernant votre début dans la vie professionnelle …
Comment était votre chemin après vos études ? Où avez-vous fait vos premières expériences ?
Mon diplôme en poche (septembre 2008), j’ai eu la chance de trouver directement une place au sein d’un laboratoire du sommeil dans une structure hospitalière belge (Vivalia à Arlon). Au départ à 75% puis rapidement à 100% en intégrant une unité de revalidation dans la même institution en tant que neuropsychologue.
En 2010, j’ai eu la possibilité de travailler au sein d’un service de gériatrie à la Clinique Sainte-Marie à Esch-sur-Alzette (maintenant entité des Hôpitaux Robert Schuman – HRS). Dans un premier temps 50% (l’autre 50% toujours chez Vivalia) puis 100%.
En 2016, l’opportunité s’est présentée à moi d’intégrer l’équipe du service de Psychologie du Rehazenter et je l’ai saisie.
En septembre 2020, je serai à ma douzième année dans le monde du travail en tant que psychologue/neuropsychologue.
Comment était le passage de la vie étudiante à la vie professionnelle ? Avez-vous peut être eu des difficultés de lancement ?
Par rapport à l’aspect « recherche de travail », je ne peux pas me plaindre. Mes recherches pour un travail ont rapidement porté leur fruit. D’autres personnes de ma promotion ont dû patienter beaucoup plus longtemps pour intégrer le monde du travail. Je me considère donc chanceuse d’avoir trouvé rapidement un emploi à la suite de l’obtention de mon diplôme et ce, dans l’orientation et type d’institution voulus (neuropsychologie et domaine hospitalier).
Par rapport au « travail » proprement dit, je résumerais avec l’adjectif suivant : « désarçonnant ». En effet, j’avais eu l’occasion de faire mon stage pratique aux seins des Cliniques Universitaires Saint-Luc où l’unité de revalidation est largement reconnue et bien développée (équipe d’une dizaine de personnes avec collaboration dans les différents services de l’hôpital et à l’extérieur). Lorsque j’ai intégré l’unité de revalidation de Vivalia : pas de local défini pour m’installer, pas de matériel et les personnes présentes ne savaient pas toujours pourquoi j’arrivais… Il a donc fallu faire preuve de débrouillardise, de patience et de souplesse. Pour ma part, le stage que j’avais pu réaliser et mon entrée dans le milieu professionnel étaient fort différents.
Un autre aspect qui me semble important de mentionner dans cette interview est le fait que, très rapidement après ma prise de fonction, je me suis aperçue que les connaissances universitaires théoriques sont loin d’être suffisantes. Afin de me sentir plus à l’aise dans mes différents emplois, j’ai toujours opté pour des formations complémentaires.
Quelles sont les compétences que vous pensez sont essentielles pour le travail du neuropsychologue ?
Au vu de mon expérience professionnelle (toujours en équipe pluridisciplinaire), je dirais les qualités suivantes : la flexibilité, l’humilité, la prise de recul, le contact humain. Comme expliqué dans la question précédente, le travail ne se passe pas toujours comme nous l’avions imaginé, il faut pouvoir faire preuve de compromis pour intégrer les équipes en place et progressivement amener nos propres idées.
Les stages que avez fait pendant vos études, ont-ils vous aidé pour le démarrage dans la vie professionnelle?
J’avais réalisé deux stages : un en recherche et un autre en clinique. Le second a été essentiel pour moi. Il m’a montré concrètement ce qu’était le travail de neuropsychologue et comment je devais travailler. Sans ce dernier, mon début de carrière n’aurait pas été pareil.
De plus, sans pouvoir le confirmer, je suppose qu’au regard de l’employeur, l’endroit de stage doit avoir une importance lorsqu’un étudiant fraîchement diplômé postule à une offre d’emploi.
Concernant votre quotidien professionnel…
Madame Verton, vous travaillez actuellement comme neuropsychologue au Rehazenter Luxembourg. Pouvez-vous brièvement décrire votre quotidien ?
Le service est disponible du lundi au vendredi.
Ma journée commence généralement par du travail administratif (lecture de mails, horaire, encodage des patients vus, intervisions, etc.). Ensuite, une heure de mon horaire est bloquée tous les jours pour proposer une rééducation assistée par ordinateur en groupe. Le reste de la journée est dédiée à des consultations individuelles (d’une durée moyenne d’une heure). Si une annulation est annoncée, je redirige mon temps sur le suivi des dossiers (transmissions dans le dossier informatisé propre à l’institution, corrections de bilan et rédaction de rapports).
Il y a également des réunions avec le patient et sa famille, des synthèses entre les thérapeutes et le médecin, des staffs institutionnels et cliniques qui sont à destination de tout le personnel.
Enfin, il y a également la réunion hebdomadaire du servie de psychologie (1h30).
Quel est le plus grand défi dans le travail avec des personnes cognitivement altérées ?
Selon moi, le plus gros challenge est lié à la diversité des cas cliniques. Ce ne sont pas que des patients avec des troubles neurologiques, ce sont des patients qui doivent également s’adapter à un changement de vie souvent radical. Ainsi, il n’est pas seulement question de tenir compte des troubles cognitifs mais également de la personne dans sa globalité. De plus, le tableau neurologique actuel peut s’inscrire sur un fonctionnement antérieur dysfonctionnel, des troubles de l’apprentissage et du développement, etc.
Le Rehazenter prend également des patients avec atteinte orthopédique ou traumatologique. Il est donc également possible de rencontrer des patients sans trouble cognitif.
La palette de prise en charge peut donc être large et, dans tous les cas, il est nécessaire de garder le cap et de savoir quel objectif poursuivre avec le patient. Le risque est grand de se perdre face aux multiples facettes avec lesquelles il est possible de travailler (travail cognitif, thérapeutiques).
Quel aspect de votre profession vous plaît particulièrement ?
Probablement un mélange de plusieurs éléments.
Le premier est sans doute le fait que les patients sont tous uniques et que dès lors nous devons sans cesse se remettre en question, réfléchir et s’adapter au rythme et difficultés de ces derniers. Il est pour moi impossible de s’ennuyer en (neuro)psychologie !
Ensuite, le fait d’avoir intégré une équipe riche, composée de plusieurs psychologues avec chacun une expertise différente, est vraiment une plus-value. Dans cette même idée, j’apprécie également le travail en interdisciplinarité. Cet environnement de travail permet d’évoluer et d’apprendre constamment.
Enfin, la neuropsychologie et les neurosciences restent des domaines que j’affectionne particulièrement. Pouvoir travailler dans ces domaines et pouvoir proposer une rééducation concrète aux patients souffrant de troubles cognitifs sont une source de motivation quotidienne.
Quel type d’intervention (de groupe) appliquez-vous souvent ?
Actuellement, deux groupes sont développés. Le premier concerne la rééducation cognitive assistée par ordinateur – destinée principalement pour les patients avec troubles attentionnels. Ce premier groupe est réalisé conjointement avec Monsieur David Benhsain (cf. l’autre interview). Le second est dédié à un cycle de sessions de relaxation en collaboration avec d’autres psychologues (Mesdames Danielle Chudy, Sandrine Degrotte-Frenay et Anne-Marie Schuller).
Un autre groupe a été tout récemment mis en place par Madame Degrotte-Frenay et je serai amenée à poursuivre le travail considérable réalisé par cette dernière. Il s’agit d’une intervention conjointe diététicienne-psychologue auprès de jeunes patients présentant une obésité (plan national de prévention).
Plusieurs projets sont en cours de réflexion : un groupe d’échanges destiné aux familles de patients hospitalisés dans les unités dites « neurologiques » avec Madame Chudy, des groupes de rééducation de patients avec troubles cognitifs (hors contexte de rééducation informatisée des troubles attentionnels) avec Monsieur Benhsain.
A côté des groupes où j’interviens, mes collègues psychologues réalisent d’autres démarches de prise en charge à destination des patients avec des pathologies traumatologiques (douleurs chroniques, douleurs du dos, etc.) – Madame Sandrine Degrotte-Frenay et Monsieur Dimitri Vas.
Quels sont les devoirs que les patients reçoivent ? Y a-t-il des connaissances préalables qu’ils eux faut ?
Actuellement, le service de psychologie accueille des stagiaires en dernière année. Afin de limiter la charge de travail sur le service, nous souhaitons intégrer les stagiaires au plus vite dans le travail concret du neuropsychologue. Ainsi, un pré-requis nécessaire est la connaissance théorique des fonctions cognitives globales et leur évaluation.
Après une première phase d’observation, nous demandons au stagiaire de réaliser des bilans neuropsychologiques en présence du psychologue référent et de rédiger les rapports qui en découlent. Le stagiaire est également amené à réfléchir aux pistes rééducatives et à participer concrètement à la rééducation. De ce fait, la participation de ce dernier aux différentes réunions organisées autour du patient se met en place automatiquement. Si cela est possible, nous essayons que l’étudiant puisse suivre un patient de A à Z lors de son hospitalisation.
Le stagiaire est également invité à suivre chaque psychologue du service afin qu’il puisse voir la variété de prise en charge possible au sein du Centre.
Si vous désirez, vous pouvez encore faire des annotations de votre cursus ou de votre profession actuelle au Rehazenter :
Comme expliqué au début de l’interview, j’ai continué des formations en parallèle de mon parcours professionnel. Tout d’abord, j‘ai suivi une formation sur les troubles du sommeil et sur les thérapies cognitivo-comportementales de l’insomnie lorsque je faisais partie du laboratoire du sommeil. Par la suite, il m’a semblé essentiel de « m’équiper » dans l’accompagnement thérapeutique des patients. De ce fait, j’ai alors fait des formations en thérapies brèves (toujours en cours), en hypnose, en IMO (Intégration par les Mouvements Oculaires), en EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). C’est sur base de ces formations que j’ai obtenu le titre de psychothérapeute.
Dernièrement, j’ai débuté une formation orientée sur la rééducation cognitive au sens large à l’Université de Liège.
Pour terminer, avez-vous encore des conseilles pour des futures étudiant(e)s en psychologie ?
N’ayez pas peur d’aller à la rencontre de l’autre – que ce soit un proche, un patient ou un professionnel.
Et pour le reste… Je suis convaincue que tout un chacun fait ce qu’il peut, comme il peut et au moment où il peut. Dès lors, vous faites déjà pour le mieux. Prenez soin de vous et de ceux que vous aimez… et restez chez vous !
Madame Verton, nous vous remercions pour cet interview !